La Communion au-delà des maux et des mots

Une Université de la solidarité et de la diaconie aura lieu les 18 et 19 novembre prochains à Lausanne. Lors de cette rencontre romande nous désirons apprendre les uns des autres, chacun avec nos fragilités et nos richesses humaines, portés par la conviction que nos différences sont des valeurs à partager pour découvrir en profondeur qui nous sommes.

Zachée descend vite, il faut aujourd’hui que je séjourne chez toi (Lc 19,5)

L’Évangile de Luc (19,1-10) nous raconte l’histoire d’une rencontre improbable entre Jésus et un homme à la fois fort et fragile, puissant et méprisé. Ce récit nous montre qu’une vraie rencontre est possible quand deux personnes s’ouvrent l’une à l’autre, malgré les freins sociaux, le regard des autres et les peurs personnelles.

Zachée cherchait en effet à voir Jésus, attiré par ce qu’il entendait de ses actions et de sa miséricorde manifestée à tous. Collecteur d’impôts, riche et puissant, mais en même temps considéré par tous comme pécheur public et mis au ban de la société de son époque, Zachée est également désavantagé physiquement, de très petite de taille, peut-être était-il handicapé. Pour atteindre son objectif de voir Jésus, il aurait pu mette en œuvre sa richesse et sa puissance, mais il fait au contraire un effort simple et concret qui l’engage dans sa fragilité : il court en avant et grimpe à un arbre. Situation cocasse pour rencontrer quelqu’un, n’est-ce pas ? En fait, il souhaite la rencontre, mais n’y est pas totalement disposé, il s’approche mais se met à distance. En hauteur, il veut voir sans être vu… Peut-être a-t-il peur du regard de Jésus posé sur lui. Mais Jésus s’arrête, lève les yeux sur Zachée et s’invite dans sa maison, dans son intimité : vite, il faut aujourd’hui que je séjourne chez toi. Cette rencontre n’est pas vue d’un bon œil par les bien-pensants et les tenants de la norme sociale : Jésus n’a rien à faire avec un homme de cet acabit. Mais le fait que Jésus offre son amitié à Zachée le transforme totalement. Zachée s’exclame : Eh bien ! Seigneur, je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens et, si j’ai fait tort à quelqu’un, je lui rends le quadruple. Sa richesse le plongeait dans une grande misère relationnelle, car elle l’isolait dans une solitude mortifère. Jésus, qui accepte de franchir le seuil de sa solitude pour séjourner avec lui, vient rejoindre Zachée dans sa fragilité et sa vulnérabilité. Zachée réalise que la vraie et seule richesse se trouve dans les relations humanisantes, la justice et l’amitié offertes, dans les mains qui se rencontrent pour l’échange fraternel. Et Jésus exprime alors sa joie : Aujourd’hui le salut est venu pour cette maison (…) Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu.

Dans ces relations simples et vraies, le Christ Jésus lui-même est présent ! C’est lui qui vient à notre rencontre à travers celui ou celle qui frappe à notre porte. Mais c’est également Jésus lui-même que l’on vient visiter quand nous acceptons de rejoindre un frère et une sœur en humanité jusque dans sa vulnérabilité : ce que vous avez fait au plus petit d’entre mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait (Mt 25,40).

Oser la rencontre fraternelle C’est quelque chose de cette relation fraternelle inconditionnelle que nous souhaitons vivre durant l’Université de la solidarité et de la diaconie. Notre thème nous fera réfléchir à « La communion au-delà des maux et des mots ». Nos maux, nos douleurs et nos malheurs, peuvent nous isoler et nous empêcher d’entrer en relation. Nos fragilités et vulnérabilités, et parfois notre sentiment de culpabilité, nous empêchent d’oser la rencontre. Il arrive aussi que les relations se passent mal et que nous soyons blessés par des rencontres. Dans ce cas, le risque est grand que nous nous isolions dans une solitude non choisie. Certaines et certains d’entre nous vivent ce que nous appelons la « communion de l’Église » comme une exclusion. Ils ne trouvent pas leur place dans cette communauté, ils ne sentent pas accueillis, considérés et acceptés, comme Zachée en son temps. À l’inverse, le malheur des autres peut également nous paralyser et nous faire peur. Il arrive que nos communautés paroissiales elles-mêmes aient de la peine à s’ouvrir aux personnes différentes, aux étrangers ou aux personnes en situations de précarité. Et nous pouvons comprendre également que de nombreuses personnes se sentent démunies et mal à l’aise face à la misère et la détresse.

Lors de cette Université, nous voulons tenter le pari de la rencontre au-delà des maux. Comme Zachée, nous désirons simplement voir. Il ne s’agira pas de mobiliser nos capacités et nos ressources, mais comme Zachée d’accepter nos fragilités comme une occasion d’entrer en relation. Nous voulons « grimper aux arbres »…

L’objectif de cette rencontre est aussi d’aller au-delà des mots, c’est-à-dire des idées ou des discours sociaux, moraux ou théologiques qui parfois nous enferment dans des catégories : les riches et les pauvres, les bons et les mauvais, les victimes et les coupables, les saints et les pécheurs… Ce sont ces mots qui empêchaient les contemporains de Jésus de comprendre ce qu’il faisait : Voyant cela, tous murmuraient, ils disaient : « C’est chez un pécheur qu’il est allé loger ! » Aller au-delà des mots, c’est laisser tomber nos idées préconçues, nos représentations des autres, notre doctrine bien rassurante pour expérimenter ce que signifie rencontrer Jésus dans ces plus petits qui sont ses frères. Comme Jésus avec Zachée, cette Université sera l’occasion de séjourner les uns avec les autres, d’ouvrir un espace intérieur pour nous accueillir au cœur de notre humanité.

Entrer en communion

Si ces déplacements au-delà des maux et des mots peuvent permettre une vraie rencontre, alors nous expérimenterons peut-être quelque chose de la communion. Avant même toute dimension religieuse, la communion c’est la communauté qui se crée dans le partage commun d’une même réalité, autrement dit la part que chacune et chacun prend à ce qui unit un groupe. Alors qu’est-ce qui nous unit, quelle communion l’Université de la solidarité et de la diaconie veut-elle favoriser ? Bien sûr, comme croyant, nous espérons favoriser la communion avec Dieu. Mais le récit de Jésus et Zachée nous montre que celle-ci se réalise dans la rencontre interpersonnelle et sans condition des frères et des sœurs. La réalité qui nous unit c’est la qualité de nos relations elles-mêmes, notre capacité à reconnaitre frère et sœur chaque personne rencontrée, quelle que soit son origine, sa condition, sa fragilité ou sa qualité. De savoir qu’il est précieux, qu’elle est précieuse pour moi car il et elle me révèle à moi-même dans mon humanité. Et pour les croyants, ces frères et sœurs humains rencontrés nous dévoilent quelque chose du Visage de Dieu, de sa tendresse et de sa miséricorde.

Philippe Hugo

Directeur du CCRFE Fribourg

[Article à paraître dans ‘Fraternels et Solidaires’ de décembre 2023]

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